lundi 7 octobre 2013

LE SAUVAGE et moi, et moi, et moi (documents complémentaires)

Etude du texte :
Montaigne, "Des Cannibales", chapitre 31

=) représentation du sauvage chez Peyo

[Etude à venir]

Document complémentaire: Autre sauvage dans les Essais:
Montaigne, Essais, livre III, chapitre VI « Des coches », 1588

 Notre monde vient d’en trouver un autre (et qui nous garantit que c’est le dernier de ses frères
puisque les Démons1, les Sybilles2 et nous, nous avons ignoré celui-ci jusqu’à cette heure ?) non moins grand, plein et fourni de membres que lui, toutefois si nouveau3
 et si enfant qu’on lui apprend encore son a, b, c : il n’y a pas cinquante ans qu’il ne connaissait ni lettres, ni poids ni mesures, ni vêtements, ni céréales, ni vignes.
Il était encore nu dans le giron de sa mère nourricière4 5 et ne vivait que par les moyens qu’elle lui fournissait.
Si nous concluons bien quand nous disons que nous sommes à la fin de notre monde et si ce poète [Lucrèce] fait de même au sujet de la jeunesse de son siècle, cet autre monde ne fera qu’entrer dans la lumière quand
le nôtre en sortira. L’univers tombera en paralysie : l’un des deux membres sera perclus, l’autre en pleine
vigueur.
10 Nous aurons très fortement hâté, je le crains, son déclin et sa ruine par notre contagion et nous lui
aurons fait payer bien cher nos idées et nos techniques. C’était un monde enfant ; pourtant nous ne l’avons
pas stimulé et soumis à notre enseignement et à notre éducation en nous servant de l’avantage de notre
valeur et de nos forces naturelles ; nous ne l’avons pas non plus séduit par notre justice et notre bonté ni
subjugué par notre magnanimité. La plupart de leurs réponses et des négociations faites avec eux5
 montrent 15 que [ces hommes] ne nous étaient nullement inférieurs en clarté d’esprit naturelle et en justesse [d’esprit].
La merveilleuse magnificence des villes de Cusco6et de Mexico et, parmi beaucoup d’autres choses
semblables, le jardin de ce roi, où tous les arbres, les fruits et toutes les herbes, selon l’ordre et la grandeur
qu’ils ont dans un jardin [normal], étaient excellemment façonnés en or, comme, dans son cabinet7, tous les
animaux qui naissaient dans son État et dans ses mers, et la beauté de leurs ouvrages en joaillerie, en plume,
20 en coton, dans la peinture, montrent qu’ils ne nous étaient pas non plus inférieurs en habileté. Mais en ce qui concerne la dévotion, l’observance des lois, la bonté, la libéralité8
, la franchise, il a été très utile pour nous de ne pas en avoir autant qu’eux. Ils ont été perdus par cet avantage et se sont vendus et trahis eux-mêmes.
Quant à la hardiesse et au courage, quant à la fermeté, la résistance, la résolution contre les douleurs et la
faim et la mort, je ne craindrais pas d’opposer les exemples que je trouverais parmi eux aux plus fameux
25 exemples anciens que nous ayons dans les recueils de souvenirs de notre monde de ce côté-ci [de l’Océan].
Car, que ceux qui les ont subjugués suppriment les ruses et les tours d’adresse dont ils se sont servis pour les tromper, et l’effroi bien justifié qu’apportait à ces peuples-là le fait de voir arriver aussi inopinément des
gens barbus, différents d’eux par le langage, la religion, par l’aspect extérieur et le comportement, venant
d’un endroit du monde où ils n’avaient jamais imaginé qu’il y eût des habitants, quels qu’ils fussent, [gens] 
30 montés sur de grands monstres inconnus, contre eux qui non seulement n’avaient jamais vu de cheval mais même bête quelconque dressée à porter et à avoir sur son dos un homme ou une autre charge, munis d’une peau luisante et dure9et d’une arme [offensive] tranchante et resplendissante, contre eux qui, contre la  lueur qui les émerveillait d’un miroir ou d’un couteau, échangeaient facilement une grande richesse en or et en perles, et qui n’avaient ni science ni matière grâce auxquelles ils pussent, même à loisir, percer notre acier ; 
35 ajoutez à cela les foudres et les tonnerres de nos pièces [d’artillerie] et de nos arquebuses, capables de  troubler César lui-même, si on l’avait surpris avec la même inexpérience de ces armes, et [qui étaient  employées] à ce moment contre des peuples nus, sauf aux endroits où s’était faite l’invention de quelque tissu  de coton, sans autres armes, tout au plus, que des arcs, des pierres, des bâtons et des boucliers de bois ; des  peuples surpris, sous une apparence d’amitié et de bonne foi, par la curiosité de voir des choses étrangères  40 et inconnues : mettez en compte, dis-je, chez les conquérants cette inégalité, vous leur ôtez toute la cause  de tant de victoires. Quand je considère l’ardeur indomptable avec laquelle tant de milliers d’hommes, de  femmes et d’enfants se présentent tant de fois devant les dangers inévitables et s’y rejettent pour la  défense de leurs dieux et de leur liberté ; [quand je vois] la noble obstination à supporter toutes les difficultés et les malheurs extrêmes, et la mort, plutôt que de se soumettre à la domination de ceux par qui 45 ils ont été honteusement leurrés, quelques-uns choisissant même plutôt de se laisser mourir de faim et de jeûne, quand ils sont faits prisonniers, que d’accepter de la nourriture des mains de leurs ennemis si vilement victorieuses, je conclus par avance que si on les avait attaquer d’égal à égal, en fait d’armement et d’expérience et de nombre, il y aurait eu autant de danger, et plus, qu’en toute autre guerre que nous voyons.