mercredi 16 mars 2011

Textes, La Leçon, Ionesco TEXTE 1: Scène d'exposition

LA LEÇON
Eugène Ionesco


La leçon, Ionesco, 1950
PERSONNAGES
LE PROFESSEUR, 50 à 60 ans Marcel Cuvelier.
LA JEUNE ÉLÈVE, 18 ans Rosette Zuchelli.
LA BONNE, 45 à 50 ans Claude Mansard.
La Leçon a été représentée pour la première fois au théâtre de Poche le 20 février 1951.
La mise en scène était de Marcel Cuvelier.
DÉCOR
Le cabinet de travail, servant aussi de salle à manger, du vieux professeur.
À gauche de la scène, une porte donnant dans les escaliers de l’immeuble ; au fond, à droite de la scène, une autre porte menant à un couloir de l’appartement.
Au fond, un peu sur la gauche, une fenêtre, pas très grande, avec des rideaux simples ; sur le bord extérieur de la fenêtre, des pots de fleurs banales.
On doit apercevoir, dans le lointain, des maisons basses, aux toits rouges : la petite ville. Le ciel est bleu-gris. Sur la droite, un buffet rustique. La table sert aussi de bureau : elle se trouve au milieu de la pièce. Trois chaises autour de la table, deux autres des deux côtés de la fenêtre, tapisserie claire, quelques rayons avec des livres.

Au lever du rideau, la scène est vide, elle le restera assez longtemps. Puis on entend la sonnette de la porte d’entrée. On entend la :
VOIX DE LA BONNE, en coulisse.
Oui. Tout de suite.
Précédant la bonne elle-même, qui, après avoir descendu, en courant, des marches, apparaît. Elle est forte ; elle a de 45 à 50 ans, rougeaude, coiffe paysanne.
LA BONNE
entre en coup de vent, fait claquer derrière elle la porte de droite, s’essuie les mains sur son tablier, tout en courant vers la porte de gauche, cependant qu’on entend un deuxième coup de sonnette.
Patience. J’arrive. (Elle ouvre la porte. Apparaît la jeune élève, âgée de 18 ans. Tablier gris, petit col blanc, serviette sous le bras.) Bonjour, mademoiselle.
L’ÉLÈVE
Bonjour, madame. Le Professeur est à la maison ?
LA BONNE
C’est pour la leçon ?
L’ÉLÈVE
Oui, madame.
LA BONNE
Il vous attend. Asseyez-vous un instant, je vais le prévenir.
L’ÉLÈVE
Merci, madame.
Elle s’assied près de la table, face au public ; à sa gauche, la porte d’entrée ; elle tourne le dos à l’autre porte par laquelle, toujours se dépêchant, sort la Bonne, qui appelle :
LA BONNE
Monsieur, descendez, s’il vous plaît. Votre élève est arrivée.
VOIX DU PROFESSEUR, plutôt fluette.
Merci. Je descends... dans deux minutes...
La Bonne est sortie ; l’élève, tirant sous elle ses jambes, sa serviette sur ses genoux, attend, gentiment ; un petit regard ou deux dans la pièce, sur les meubles, au plafond aussi ; puis elle tire de sa serviette un cahier, qu’elle feuillette, puis s’arrête plus longtemps sur une page, comme pour répéter la leçon, comme pour jeter un dernier coup d’oeil sur ses devoirs. Elle a l’air d’une fille polie, bien élevée, mais bien vivante, gaie, dynamique ; un sourire frais sur les lèvres ; au cours du drame qui va se jouer, elle ralentira
progressivement le rythme vif de ses mouvements, de son allure, elle devra se refouler ; de gaie et souriante, elle deviendra progressivement triste, morose ; très vivante au début, elle sera de plus en plus fatiguée, somnolente ; vers la fin du drame sa figure devra exprimer nettement une dépression nerveuse ; sa façon de parler s’en ressentira, sa langue se fera pâteuse, les mots reviendront difficilement dans sa mémoire et sortiront, tout aussi difficilement, de sa bouche ; elle aura l’air vaguement paralysée, début d’aphasie ; volontaire au début, jusqu’à en paraître agressive, elle se fera de plus en plus passive, jusqu’à ne plus être qu’un objet mou et inerte, semblant inanimée, entre les mains du Professeur ; si bien que lorsque celui-ci en sera arrivé à accomplir le geste final, l’élève ne réagira plus ; insensibilisée, elle n’aura plus de réflexes ; seuls ses yeux, dans une figure immobile, exprimeront un étonnement et une frayeur indicibles ; le passage d’un comportement à l’autre devra se faire, bien entendu, insensiblement.
Le Professeur entre. C’est un petit vieux à barbiche blanche ; il a des lorgnons, une calotte noire, il porte une longue blouse noire de maître d’école, pantalons et souliers noirs, faux col blanc, cravate noire. Excessivement poli, très timide, voix assourdie par la timidité, très correct, très professeur. Il se frotte tout le temps les mains ; de temps à autre, une lueur lubrique dans les yeux, vite réprimée.
Au cours du drame, sa timidité disparaîtra progressivement, insensiblement ; les lueurs lubriques de ses yeux finiront par devenir une flamme dévorante, ininterrompue ; d’apparence plus qu’inoffensive au début de l’action, le Professeur deviendra de plus en plus sûr de lui, nerveux, agressif ; dominateur, jusqu’à se jouer comme il lui plaira de son élève, devenue, entre ses mains, une pauvre chose. Evidemment la voix du Professeur devra elle aussi devenir, de maigre et fluette, de plus en plus forte, et, à la fin, extrêmement puissante, éclatante, clairon sonore, tandis que la voix de l’élève se fera presque inaudible, de très claire et bien timbrée qu’elle aura été au début du drame. Dans les premières scènes, le Professeur bégaiera, très légèrement, peut-être.
LE PROFESSEUR
Bonjour, mademoiselle... C’est vous, c’est bien vous, n’est-ce pas, la nouvelle élève ?

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